Rétablir son histoire
- Marie-Eve Côté

- 28 août
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 sept.

L'autre jour, je suis allée visiter un oncle que je n'avais pas revu depuis trois ans - à l'exception de rencontres fugaces, lors des funérailles de certains membres de notre famille.
Il est à l'aube de ce que l’on appelle la vieillesse, un mot qu’on hésite souvent à prononcer, tant il porte une image de déclin et de fragilité. Et pourtant... le grand âge est un moment de notre vie qui peut être d'une importance capitale.
De nature, cet oncle avait un caractère plutôt fougueux. Son agressivité montait rapidement lors de désaccords et il était particulièrement sensible à l'injustice. Il était très directif, cherchant souvent à avoir le dernier mot. Plutôt costaud, sa stature et son fort caractère imposaient le respect. Même si, à côté de cela, il possédait un excellent sens de l'humour.
Et puis, lors de ma dernière visite, dès que j’ai franchi le seuil de la porte, j'ai su que quelque chose avait changé. Je l'avais déjà remarqué auparavant, mais cette fois-ci, cela semblait permanent et irréversible, ancré comme une nouvelle réalité.
Il avait perdu un peu de poids, il était plus posé, sa voix portait moins et il prenait davantage son temps pour ses tâches quotidiennes. Et quand il parlait, je remarquais qu'il cherchait ses mots un peu plus qu’à l'habitude. Il a même eu un moment d’hésitation, quand il a eu du mal à se souvenir du nom de mon copain... alors qu'il le connaît depuis une vingtaine d'années.
Depuis toujours, il racontait à quel point ses camarades de classe, à l'école primaire, avaient peur de lui et le redoutaient, à quel point les plus faibles venaient chercher sa protection. De ce que je connaissais de lui, je pouvais amplement l'imaginer ! Il racontait aussi comment il avait toujours eu le dessus sur ceux qui tentaient de lui faire des misères, en gros, personne ne l’écoeurait. Quand il évoquait ces souvenirs, son ton montait toujours, et avec sa grosse voix qui résonnait, on ne pouvait qu’imaginer les autres trembler devant lui...
Mais cette journée-là, assise avec lui dans la cuisine où ne résonnait que le tic-tac de la vieille horloge, sa voix, moins audible qu'autrefois, me raconta une toute autre histoire. Pour la première fois de sa vie, il me confia l’envers du décor de sa grande force. Ce moment émouvant de confiance m’a permis de voir une certaine vulnérabilité sous cette carapace qui s'était durcie avec les années.
Des moments de son passé semblaient attendre d’être enfin entendus et reconnus. Durant cet échange intime, j'ai rencontré mon oncle, la personne qu’il était, dans son entièreté. C’est au moment où les masques tombent qu’on peut enfin rencontrer les gens réellement, tels qu’ils sont. Cette réhabilitation de notre propre vie est essentielle, voire primordiale. Heureux sont ceux qui peuvent y parvenir, car ils entreront dans la dernière phase de leur vie de manière plus sereine et apaisée.




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