Le luxe du temps : redonner une place à l’humanité dans les soins
- Marie-Eve Côté

- 28 sept.
- 3 min de lecture

Un jour, une amie me raconta la première journée d'aide de service qu'elle effectua pour le compte d'un organisme humanitaire. C'était en pleine pandémie. Avec d'autres membres de son équipe, on l'avait envoyée en renfort dans un CHSLD. Le personnel soignant était débordé et peinait à répondre aux besoins les plus élémentaires des résidents.
L'été battait son plein et comme il faisait un soleil radieux à l'extérieur, elle décida de sortir une résidente dont elle prenait soin. Elle poussa la chaise roulante de la dame à l'arrière du bâtiment, là où s'épanouissait un petit coin de verdure rempli de fleurs odorantes et d’arbres majestueux.
Quand mon amie s'arrêta, elle constata que la dame avait les larmes aux yeux. - Est-ce que tout va bien ? Vous avez mal quelque part ?
Et la dame répondit simplement :
- Je suis si heureuse de respirer cet air et de sentir la brise chaude de l'été sur ma peau. Il y a des mois que je ne suis pas sortie à l'extérieur. Personne n'a jamais le temps pour cela.
Cette anecdote met en lumière un problème qui dépasse les centres de soins et touche l’ensemble des services publics : la déshumanisation des soins et des services.
Ce n’est pas seulement mon ressenti, ni celui de mon amie ou de la résidente.
Le Protecteur du citoyen constatait récemment une « déshumanisation des services publics », comme l’a rapporté La Presse (19 septembre 2024). Cela confirme que les rigidités administratives, le manque de formation du personnel, la négligence, la surcharge de travail, la pénurie de main-d’œuvre, les routines mécaniques et désengagées, et les mesures coercitives mal encadrées, font partie d’un phénomène systémique. On parle même des besoins fondamentaux de base, comme l'hygiène, qui ne sont pas toujours respectés.
Dans ce contexte de déshumanisation des soins et des services, nous n'avons peut-être pas le pouvoir de tout changer, mais à notre échelle, nous pouvons redonner un peu d'humanité dans la vie des gens. Il est d’autant plus frappant de constater à quel point un simple contact avec la nature peut transformer l’expérience quotidienne.
Ce besoin vital de nature n’est pas qu’une impression subjective. Au Japon, le shinrin yoku — littéralement « bain de forêt », est prescrit par les médecins depuis le début des années 80. Des études japonaises montrent que les patients des hôpitaux qui peuvent, ne serait-ce que voir des arbres depuis leur lit, se rétablissent plus vite et ont besoin de moins d'antidouleurs que les malades dont la fenêtre donne sur un mur.
Une seule journée en forêt peut faire baisser l’adrénaline et le cortisol de près de 50 %. Le contact de la nature permet de réguler la tension sanguine et le taux de glycémie, en plus de renforcer le système immunitaire. Il aide également à prévenir les maladies cardio-vasculaires et le cancer.
Sur le plan mental, l’exposition à la nature diminue les émotions négatives telles que la peur et la colère, réduit les symptômes dépressifs, améliore le bien-être général et renforce l’estime personnelle.
Dans nos sociétés occidentales, l’humain tend à dominer la nature, tandis qu’en Orient, la tradition la considère comme faisant partie intégrante de son environnement.
Même si, dans certains contextes, il n’est pas toujours possible de sortir la personne à l’extérieur, il existe des moyens simples de lui offrir ce contact bénéfique avec la nature. Par exemple, quand j’allais visiter mon père, j’ouvrais la fenêtre pour renouveler l’air de la pièce, je diffusais des huiles essentielles de pin ou de sapin (qu’il aimait beaucoup !), ou encore je faisais jouer des sons naturels comme un ruisseau ou le chant des oiseaux.
Si la chambre du résident donne sur un mur ou un stationnement, pourquoi ne pas installer des plantes, ou accrocher une grande photographie d’un lieu naturel sur un mur vierge ? Ainsi, il est possible de transformer la chambre en un petit coin de nature, apportant un peu de cette énergie vitale dans la journée de la personne.
En tant que dame de compagnie, notre mission est de redonner sa place à l'humanité, de la remettre au centre de nos préoccupations. Parce qu’un sourire, une sortie au soleil ou une fenêtre ouverte peuvent, parfois, faire plus de bien qu’un traitement de plus.
Car c’est là tout le luxe du temps : redonner à l’humain sa place, et lui permettre de ressentir pleinement la vie, même dans les soins les plus simples.




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